samedi 6 mai 2023

Un féminicide à l'Anglaise

 BONJOUR,

Notre jeune victime est une femme de tout juste 20 ans. Elle est mariée et enceinte de quelques mois.

Un an auparavant, la jeune Suzanne AUDON, fille du syndic des pilotes de ROYAN, n'a que 19 ans et vient d'être nommée institutrice. Un jour de juin 1893 alors qu'elle se promène au bras de sa mère, elle est accostée par un jeune britannique, hardi et quelque peu excentrique, fraîchement rentré d'un voyage en Australie.

Elle ne s'en laissera pas conter. Elle est chaste, née au sein d'une famille modeste, sans fortune mais honorable. Quant au jeune homme, il est assidu ou bien "très collant" à la manière d'une sangsue. Elle le repousse, lui écrit de ne pas revenir à sa rencontre, de ne pas la suivre ni la voir. "on jase ! ". Mais rien n'y fait. Lui, ignorant le refus de sa famille, négligeant les menaces de son père, devant cette mésalliance, la poursuit de ses assiduités.

Le procureur tentera de faire comprendre au Jury dans quel état d'esprit est l'Anglais, noble, millionnaire : une tocade, une passion éphémère qui disparaîtra quand elle sera satisfaite. Il ne tardera pas à démontrer en quoi c'était un caprice. 

Suzanne -qui se croit aimée de ce jeune huluberlu- refuse la proposition effarante autant qu'effrayante de devenir sa maîtresse et de l'accompagner dans ses voyages, ceci afin de sauvegarder la rente dont il bénéficie. Ces subsides disparaitraient  si un mariage avait lieu entre les deux jeunes gens.

Suzanne n'a pas reçu ce genre d'éducation ; elle lui répond sur un billet : 

L'honneur de la jeune fille est un blason sans tâche. 

Si je n'ai pas de noblesse de titre et de naissance, j'ai celle du coeur.

Torturée par cette situation, Suzanne envisage son entrée au couvent. 

Maintenant que vous avez situé notre personnage principal, voyons donc son thème.  Suzanne AUDON est née le 10 Août 1873 à 14 H à Saujon en Charente Maritime. 



**********

Le jeune homme -fils du Général WITTINGHAM, est bien élevé ; il a reçu une éducation soignée, une instruction complète dans une famille honorable, occupant un rang élevé dans la société, ayant une grande situation de fortune ; il était destiné par son origine et par cette fortune, à rester au premier rang de la société. C'est la description de lui que fera le Procureur de la République, le jour du réquisitoire. 

Il s'en prendra ensuite au grand absent de ce procès : le père de l'accusé, le Général WITTINGHAM, officier à la retraite ayant servi au Canada, 74 ans,  lui reprochant son manque de bonté d'âme, sa porte fermée à celle, honnête et pure, qui venait de contracter mariage avec son fils, Bernard, en Angleterre....allant jusqu'à la calomnier....alors que son propre fils, la veille du mariage (célébré le 16 Novembre 1893) avait eu une "intrigue" dans le train le ramenant en France, avec une certaine Miss MERSELL et qu'il avait passé la nuit avec une "Parisienne" au Casino de PARIS.

Le Procureur mentionne l'avis publié dans les journaux, affiché sur les murs de la ville de ROYAN : 

À partir d'aujourd'hui, je ne paierai plus les dettes de mon fils, Bernard WITTINGHAM et celles de sa femme. Leur prétendu mariage a été contracté à LONDRES, sans mon consentement.

Bernard William WITTINGHAM est averti que tant qu'il aura Suzanne pour femme, il ne pourra percevoir d'argent de la famille. D'où les nombreuses scènes qu'il va faire à son épouse, les propositions de suicide aussi....puisqu'elle refuse de passer pour sa maîtresse (alors qu'elle est son épouse). Lui-même de son côté refuse de la présenter en tant que Mme WITTINGHAM. Suzanne vit un calvaire d'autant que son époux la bat et qu'il est généralement armé. Elle commence à avoir peur de cet époux et elle en parle. Le couple se séparera deux fois. 

La famille WITTINGHAM met la pression sur leur fils, sa mère, dont on dit que c'est une femme douce pourtant, domine ses enfants : 

"Votre mariage ne doit pas être valable. Un voyage vers de lointains climats vous dirigera vers de nouveaux desseins. Rompez tous les liens et votre père vous enverra tout ce que vous pourrez désirer. "

**********

Suzanne AUDON a une soeur aînée: Jeanne -qui viendra témoigner et défendre sa cause devant la Cour, le jour du procès.-

Le père de Suzanne est mort en février 1894 ; officiellement c'est une bronchite qui l'a emporté. Mais tous pensent que la situation de sa fille, depuis son mariage, y est pour beaucoup.

Ce 18 mars 1894, jour du meurtre, dira le Dr ROUX, Chevalier de la Légion d'Honneur, âgé de 58 ans,  la jeune femme enceinte de 4 mois, paraissait endormie sur le fauteuil, -un pouf recouvert d'une étoffe jaune lilas à fleurs rouges qui sera présenté à la Cour- les jambes légèrement écartées, la tête inclinée vers le bas, le coup de feu a été porté dans sa direction, en oblique, à environ 10 ou 15 centimètres du visage, de haut en bas. Il considèrera la position comme non naturelle pour une morte.  On relèvera les différentes serviettes tachées de sang.

Il ne peut s'agir d'un accident, dira l'expert en balistique, M. Gabriel De luzy De PÉLISSAC,  l'arme est neuve, sans défaut, elle est extrêmement dangereuse mais n'est pas sensible, elle exige une force de deux kilos. Elle ne peut pas partir sans la volonté du tireur. Il lâchera l'arme plusieurs fois sous les yeux ébahis du Président de la Cour pour en faire la démonstration. Aucun coup ne part.

Les experts en psychiatrie diront de Bernard WITTINGHAM,  soupçonné du meurtre de son épouse -sorti du lieu du crime, une valise à la main en déclarant à sa belle soeur croisée à ce moment-là, qu'il avait blessé son épouse- que l'homme ne faisait preuve d'aucune émotion et que son état nerveux n'excluait pas sa responsabilité. 

D'autres ajouteront que c'est un insoumis. On dira malgré tout qu'il avait bon coeur. Sa soeur,  Marie, en larmes, dira qu'il était emporté avec des retours d'affection. 

Pourtant la veille du meurtre, après une longue absence, il arrive par surprise chez sa belle-mère ; le moment d'effusions passé, il s'apprête à lever la main sur sa femme et laisse apparaître une arme nouvellement achetée à LONDRES. 

Devant la consternation de sa belle-soeur, il plaisantera : "c'est pour rire !"   

NON c'est un meurtre avec préméditation ! claironnera le Procureur.

Les crises d'hystérie du mari lors des interrogatoires qui ont nécessitées la venue de médecins, n'étaient en rien des crises d'épilepsie. Comme on dit certains témoins "un excentrique un peu toc-toc" mais pas un aliéné.

La condamnation tombe le 11 août, jour de la Sainte Suzanne. 

WITTINGHAM est reconnu coupable et condamné à 20 ans de travaux forcés. 

Bonne Lecture,

isalucy23@orange.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire